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Partie 1 - Edward Bernays : la fabrique du consentement ou comment passer du citoyen au consommateur

 Voici une série d'articles qui permettent de savoir pourquoi/comment certaines choses que nous vivons aujourd'hui ont commencé


Edward Bernays est né en 1891 à Vienne et il est mort en 1995 à Boston. 103 années d’une
vie fructueuse. Une vie consacrée à l’une des tâches majeures de notre siècle : celle qui
consista à pervertir les democraties pour faire plier les volontés des masses aux desseins des
élites, en toute non-violence. Edward Bernays était le neveu de sigmund Freud et il a su
exploiter les avancées apportées par son oncle, ainsi que le rayonnement scientifique de ce
dernier dans le domaine de la connaissance de l’irrationnalité, à des fins économiques
idéologiques et politiques.


Sa discrétion dans notre paysage culturel actuel est inversement proportionnelle à l’ampleur
de sa tâche. Même dans les agences de pub ou dans les services de relations publiques, son
nom est presque inconnu, tout du moins en France. Il faut dire qu’il était un fervent partisan
d’une « gouvernance de l’ombre » et ses écrits ne tarissent pas sur ce sujet. « créer du besoin,
du désir et créer du dégoût pour tout ce qui est vieux et démodé » fut un de ses leitmotiv.
« Fabriquer du consentement », « cristalliser les opinions publiques » furent les titres de 2 de
ses oeuvres écrites (une quinzaine en tout). « Dompter cette grande bête hagarde qui s’appelle
le peuple ; qui ne veut ni ne peut se mêler des affaires publiques et à laquelle il faut fournir
une illusion » en furent d’autres.


Ayant étudié la science de son tonton (la psychanalyse), et ayant été
en contact régulier avec ce dernier, puis avec sa fille, Bernays va, par la mise en pratique de
tels enseignements, passer maître dans l’art de manipuler l’opinion dans un environnement
démocratique et « libre », que ce soit à des fins politiques ou publicitaires. Bernays est
considéré à ce jour comme l’un des pères de l’industrie des relations publiques et comme le
père de ce que les Américains nomment le « spin », c’est-à-dire la manipulation - des
nouvelles, des médias, de l’opinion - ainsi que la pratique systématique et à large échelle de

l’interprétation et de la présentation partisane des faits. Bernays va faire fumer les femmes
américaines, Bernays va démultiplier les ventes de pianos ou de savons, Bernays va
contribuer à faire basculer l’opinion publique américaine vers la guerre en 1917, et bien
d’autres choses encore que je vais vous conter dans cet article.
Le titre de son livre le plus célèbre ? « Propaganda, comment manipuler l’opinion en
démocratie ». Tout un programme. Toute une idéeologie qui va d’abord être accueillie avec
scepticisme par les oligarques et les politiques, puis utilisée à tort et à travers, dès les premiers
succès, et ce jusqu’à notre époque contemporaine qui en fait l’apologie.
À l’heure ou les débats pro et anti « conspiration » font rage sur les événements majeurs de
notre période contemporaine, une petite mise au point historique sur la naissance et
l’évolution de ce que nous appelons en France les « relations publiques » ou encore la
« com » s’impose.


LA PUCE À L’OREILLE

Au début du siècle, étudiant en agriculture, fils d’un marchand de grains très prospère,
Bernays s’ennuie et décide de se lancer dans le journalisme. Il rencontre à New York un ami
qui a hérité de 2 revues scientifiques et qui a des difficultés dans ses prises de décisions quant
à l’orientation de ces revues.
Au même moment, en ville, une pièce de théâtre dont le sujet est très tabou est en train de se
mettre sur pied. Cette pièce décrit l’histoire d’un homme qui a la syphilis et qui le cache à sa
future femme. Ils ont un enfant qui naît malade. Bref, une sujet très délicat pour l’époque.
Bernays teste alors une méthode qui sera le fondement de sa méthodologie : il met sur pied un
comité pour la propagation d’idée en médecine, chapeauté par l’une de ces revues. Ce comité,
à droits d’entrée payants, et dont les membres sont d’éminents médecins et professeurs en
médecine, parraine la pièce de théâtre en question. Et c’est le succès pour la pièce... tout en
donnant un coup de boost à l’une des revues de l’ami de Bernays.


Edward a 21 ans... Il transforme un scandale potentiel en succès et il vient de trouver sa voie :
une nouvelle manière de faire la promotion de produits ou d’idées.
Technique classique me direz-vous... oui, en effet, c’est une technique classique aujourd’hui.
Mais à l’époque, c’est révolutionnaire.
Car, à l’époque ce genre de technique de communication qui procède de biais est totalement
inconnue.
En effet, au début du siècle, les messages publicitaires sont simples : il s’agit de vanter un
produit en le décrivant, tout simplement, pour ce qu’il est.
Bernays procède par biais, il utilise des figures d’autorité et, via elles, rend le produit
intéressant voir incontournable.


LA PREMIERE EXPERIENCE D’ENVERGURE : LA COMMISSION CREEL

Mais n’allons pas trop vite... nous sommes en 1917, et Bernays fort de cette première
éxpérience est à mi-chemin entre le journalisme, l’impresario, le conseiller en communication
(bien que cette dernière appellation n’existe pas encore)...
tout va se précipiter avec la constitution de l’« U.S. Committee on Public Information », plus
communément appellé la « commission Creel » à laquelle notre ami Edward Bernays va
contribuer de manière très active. Qu’est-ce que cette commission ? Une image suffit pour la 
rappeler à votre mémoire : « I want you for us army ». Vous vous rappelez ? l’oncle Sam qui pointe un doigt accusateur.



Car, en 1917, la population américaine est largement pacifique et n’a aucunement l’intention
d’entrer en guerre, alors que le gouvernement est fermement décidé à s’engager dans le
conflit, pour des raisons industrielles. Pour la première fois dans l’histoire, une commission
va être créée par un gouvernement pour changer une opinion publique. Et c’est précisément
au sein de cette commission que Bernays va gagner ses premiers galons aux yeux des grands
décideurs. La commission Creel va mobiliser un grand nombre d’intellectuels, de journalistes,
de penseurs qui vont tenter un coup d’éclat. Ils vont mettre en place tout un ensemble d’outils
et de méthodes destinés à gérer les foules et finalement à faire basculer rapidement l’opinion.
Et ils vont réussir avec panache. Les bases de la propagande moderne vont être jetées.
De nombreux concepts aujourd’hui connus et banalisés seront testés : distribution massive de
communiqués, appel à l’émotion dans des campagnes ciblées de publicité, recours au cinéma,
recrutement ciblé de leaders d’opinion locaux, mise sur pied de groupes bidon (par exemple
des groupes de citoyens) et ainsi de suite.

Walter Lippmann, un de ses membres influents, souvent donné comme le journaliste
américain le plus écouté au monde après 1930, a décrit le travail de cette Commission comme
étant « une révolution dans la pratique de la démocratie », où une « minorité intelligente »,
chargée du domaine politique, est responsable de « fabriquer le consentement » du peuple,
lorsque la minorité des « hommes responsables » ne l’avaient pas d’office.

Cette « formation d’une opinion publique saine » servirait à se protéger « du piétinement et
des hurlements du troupeau dérouté » (autrement dit : le peuple), cet « intrus ignorant qui se
mêle de tout », dont le rôle est d’être un « spectateur » et non un « participant ». Car, en effet,
l’idée qui a présidé à la naissance de l’industrie des relations publiques était explicite :
l’opinion publique devait être « scientifiquement » fabriquée et contrôlée à partir d’en haut, de
manière à assurer le contrôle de la dangereuse populace.

Petite appartée : le trollage payé et certaines formes de marketing viral sur internet ne sont
que l’application moderne du « standing man » technique qui consistait à utiliser une
personne reconnue dans une communauté pour se lever soudainement lors d’un événement
local et scander une opinion afin de détourner un débat calme et rationnel et de transformer
une ambiance de dialogue serein en discussion émotionnelle. Car l’émotion est le premier pas
vers l’irrationnel, qui est la porte entrouverte vers l’inconscient, ce domaine que nos
publicitaires exploitent au maximum.

Bref, lors de la commission Creel, Bernays a brillé dans ces milieux qui ébauchaient les
techniques de propagande moderne en imposant les travaux de son oncle, et de personnes
comme Gustav Lebon notamment en expliquant que la psychologie de foule est différente de
la psychologie individuelle.

La masse des gens ne peut penser rationnellement, et c’est donc à la minorité intelligente de
façonner le destin de cette masse... Ce constat mis noir sur blanc de façon scientifique par
Freud, et qui est en adéquation parfaite avec les courants de pensée qui sévissent dans les éltes
de l’époque, va permettre à Bernays, en tirant les leçons de la commission Creel, d’inventer
littéralement le « public relation ».


(suite dans un pochain article)